
Les pêcheurs fiers de leur première prise
Je n’ai jamais été un grand pêcheur. Mes premiers et presque seuls souvenirs de pêche remontent à mes 7-8 ans où, mes copains et moi allions nous retrouver sur la rue du lac au village de St-Bruno. J’avais une belle canne à pêche jaune et j’avais appris des grands comment enfiler les vers de terre sur un hameçon. Il y avait un grand tuyau qui permettait le passage de l’eau entre les deux lacs sous la rue, c’était le meilleur endroit pour pêcher. Il suffisait de mettre la ligne à l’eau et dans les secondes qui suivaient, je remontais un petit Crapet-soleil frétillant. J’avais un gros sceau et je décrochais doucement mes prises pour les mettre dedans afin d’en admirer les couleurs et ainsi les remettre à l’eau en fin de journée. J’ai le souvenir des imbéciles qui s’amusaient à projeter leur prises sur le bitume afin de les tuer…ça me faisait mal au cœur à chaque fois. C’est probablement pour ça que je n’ai jamais été un grand pêcheur.
Pour notre voyage, malgré ma faible expérience de pêche, j’avais quand même l’intention d’initier mes garçons à cette noble et ancienne pratique. Nous sommes tout simplement des humains qui doivent se nourrir; quelle belle opportunité pour montrer aux enfants que la nourriture que nous mangeons ne pousse pas dans les étalages des supermarchés. Donc, dès nos premières traversées, j’ai pris le soin de lancer à l’eau les lignes de pêche qui étaient déjà à bord. Rien de très sophistiqué; un appât qui a la tronche d’une petite pieuvre attaché à une ficelle toute simple, le tout enroulé sur une bouteille de plastique.
Pour se remettre en contexte, en début d’année, la météo a été assez forte et la plupart des traversées se sont effectuées sous un vent bien établi à 20 nœuds et 3 mètres de creux au minimum, rien de très confortable. Des les premières fois je me suis dit intérieurement « j’espère ne rien attraper car je n’ai aucune envie de gérer la bestiole une fois qu’elle sera à bord – je risque tout simplement de lui dégueuler dessus». Toute mon énergie était accaparée à m’occuper de mon navire et de la sécurité de mon équipage.
Les mois ont donc passés, et jamais un poisson n’a daigné mordre à mes lignes malgré mes efforts répétés. Au début je m’en foutais mais, petit à petit, je me suis demandé pourquoi. J’ai lu des dizaines de récit de famille et ils pêchaient tous sans problème. J’ai donc commencé à m’informer auprès des autres navigateurs. Ces derniers n’avaient pas plus de succès que moi; les seuls qui y arrivaient étaient ceux qui pratiquaient la chasse sous-marine. Ça m’a enlevé un peu de pression.
Mais l’orgueil étant ce qu’il est, ça me travaillait de ne pouvoir pêcher. De plus, Sacha s’intéressant de plus en plus à la chose, l’envie de réussir me torturait lors des longues traversées. Je me suis donc informé auprès des locaux :
-Y’a-t-il un truc? C’est quoi le problème : une pénurie de poissons, peut être le réchauffement climatique??
La réponse était toujours la même: « Non, pas de truc, il y a plein de poissons – il suffit de mettre les lignes à l’eau et ça mord » Comme ça, froidement et avec un grand sourire par surcroît.
Putain de pêcheurs qui gardent leurs secrets pour eux!!!! Ils ne vont pas m’avoir comme ça. J’ai donc commencé à visiter les boutiques de pêche et sous leurs bons conseils de marchands, je me suis monté une collection de pieuvres de toutes les couleurs au grand dam d’Esther qui gère le budget.
….Résultat des courses : rien de rien, toujours rien, même pas une touche.
Je commençais à être la risée de mon équipage et recevait en pleine gueule des phrases du type :
-«Si on avait mis le budget des appâts sur du poisson, on aurai mangé du thon tous les jours de l’année!… »
ÇA SUFFIT!!! Je ne suis pas un pêcheur mais j’ai quand même une fierté, il n’y a pas de marin qui ne sache pas pêcher.
J’ai donc envoyé paître tous les grands parleurs avec leurs conseils bidons et j’ai fait appel à mon expertise d’ingénieur. J’ai donc analysé la situation méthodiquement, regardé les variables, leur impact, fait des tests, etc. J’en suis revenu avec un plan d’attaque tout simple que j’allais mettre en opération dès notre prochaine traversée.
Nous voilà donc entre Antigua et Barbuda, par une belle journée ensoleillée, 15 nœuds de vent à 80 degrés, 1m de creux….le paradis quoi. Je jette ma ligne à l’eau tout en tenant compte de mon plan de match. Je suis confiant.
1h plus tard….BANG…..l’élastique monté sur la ligne commence à s’étirer de tout son long, je crie… ÇA MORD, ÇA MORD!!….Sacha, mon fidèle comparse de pêche se précipite dans le cockpit et me lance mes gros gants en PVC rouge VITE, VITE papa, remonte le, tire!!! Esther court chercher la bouteille de Rhum, Noah sort sa petite épuisette….c’est l’excitation totale à bord!!!
Je remonte, ça tire, ça secoue, je tire, je remonte…et….WOW….finalement un superbe Tazar de 90cm…quelle joie!
Je remonte la bête dans le cockpit et sans hésiter, je l’asperge du meilleur rhum agricole dans les branchies, une mort douce et euphorique pour ce merveilleux poisson. Nous remercions le dieu des mers pour ce beau cadeau et je fais l’accolade à mes mousses: une grande fierté et une joie immense m’envahissent….sûrement un reste de mes gênes d’ancêtre chasseur cueilleur qui a été réactivé. Que dire de Sacha qui éclate de joie en nous racontant cette histoire de pêche en boucle.
La bête fut écaillée, vidée et filetée avec succès en moins de deux. Une première pour Esther et moi que nous avons effectué sans dégout et même avec plaisir.
Ce soir là, nous avons ouvert notre meilleure bouteille de blanc en concoctant un menu gastronomique :
- Riz à Sushi
- Carpacccio de Tazar
- Sushi de Tazar
- Filet de Tazar grillé au beurre
Ce fut une expérience mémorable.
Comble de bonheur, lors des 2 navigations suivantes j’ai appliqué la même stratégie et ça a payé:
- Un Barracuda de 80cm
- Une Daurade (Mahi-Mahi) de 120 cm (photos à l’appui….elle était aussi lourde que Noah)
Inutile de dire que la fin de notre périple s’est fait sous les festins de poisson frais sous toutes ses déclinaisons : Sushi, Sashimi, Ceviche, Tartare, Grillé, Poché…
Pour ce qui est de mon secret de pêche voilà: ……………………………………………………………………………
Vous ne pensiez quand même pas que j’allais vous le dévoiler???
P.S. Je ne suis pas sur les photos (puisque j’étais la photographe du moment!), mais je tiens quand même à souligner que j’étais de la partie : chercher en panique le rhum pour tuer la bête, vider les viscères du poisson quand Étienne allait dégueuler, remonter des dizaines de sceau d’eau en pleine navigation avec le courant pour nettoyer le cockpit et éviter que Noah ne soit traumatisé avec le sang partout, ramasser toutes les écailles séchées un peu partout et finalement ranger tout le carnage que mes hommes ont laissé!

Daurade au large de Barbuda

Qui est le plus gros?

Sacha est fier de sa prise